"JE SERAI DOUCE " (aventures infimes)

"JE SERAI DOUCE " (aventures infimes)
septembre
A la fin de la nuit, sans aucun bruit, elle a quitté la pose dans laquelle, figée depuis deux mois et absolument nue, des milliers de citadins étaient venus l’admirer. Moi qui me tenais sur un banc du jardin, dans l’ombre presque noire, il m’a paru qu’elle ne s’était pas réveillée lentement comme d’un long sommeil de pierre :comme si elle ne s’était immobilisée qu’un instant, Elle a repris son chemin, droit devant elle. Elle est sortie du petit jardin, le front balayé au passage par les feuillages du vieux tilleul, d’où s’est envolé un couple de pigeons. Elle a traversé le village de caravanes et de manèges endormi, installé là comme à chaque fin d’été sous les platanes du Cours Saint Pierre, puis elle a descendu, magnifique, les marches solennelles qui limitent l’esplanade vers le sud. Je me suis assis sur la plus haute et je l’ai regardée - laissée, plutôt, me suis-je dit alors – disparaître. Elle s’est dirigée vers le quartier moderne qui cerne la ville. Elle a dû traverser le fleuve. A-t-elle emprunté les ponts, ou a-t-elle traversé le fleuve comme j’aurais traversé un ruisseau ? De temps en temps, entre deux tours bleu pâle, j’apercevais sa silhouette gigantesque. Je revins au jardin déserté. Là où elle s’était tenue tout l’été, et où je venais d’assister à son départ solitaire, nulle fleur n’était cassée, nul brin d’herbe ne semblait avoir été foulé, et nulle empreinte de pas ne creusait le sable où elle avait marché. Comme si elle avait été aussi légère qu’un songe, comme si elle n’avait été qu’un rêve.
octobre
Pourtant, pourtant, c’est bien elle, me disais-je alors que je marchais sous de gigantesques platanes, le long de la rivière, de plus en plus sûr mais aussi de plus en plus surpris, en me rapprochant, de reconnaître la silhouette de celle que je croyais enfuie. La rivière, à cet endroit, bien qu’elle traverse encore la très proche banlieue, s’ensauvage brusquement : ses rives se couvrent d’arbres qu’on dirait poussiéreux, de cette poussière du temps et de l’ennui qui règne sur les grands « fleuves impassibles » d’Amazonie, et que ne remue nul courant, nulle navigation. Mais au-dessus de ces cimes déteintes, crevant des cumulus de feuilles petites et pâles par millions et par millions, une courte cheminée de brique rouge se dresse dans le ciel verdâtre, comme l' ultime souvenir d’une époque révolue, et peut-être d’une ville disparue. C’est ici, sous les monstrueux platanes, qu’elle s’est arrêtée, sous un ombrage à sa mesure. Dans son voyage, se repose-t-elle un instant, se retourne-t-elle vers des lieux qu’elle a quittés à peine, dans son temps de géante, a-t-elle voulu les contempler une dernière fois avant de les oublier, avant de remonter vers la source, vers Sa source ? Et qu’elle est-elle, cette source ? Est-ce le mystère dont elle sort et qu’elle allégorise silencieusement, me demandais-je, assis à ses pieds de basalte, est-ce cette inspiration qui naît tout à coup d’une rêverie, comme un ruisseau au flanc d’une colline ? Il me sembla, assis là, adossé familièrement contre son mollet, sous les énormes cuisses, sous le ventre de pierre que, très doucement, elle avait respiré; une onde presque imperceptible l’avait parcourue. Peut-être n’était-ce qu’un peu de vent. De l’air tiède traînait à la surface de la rivière, et faisait par moment, frissonner doucement les feuillages. Mais les branches énormes qui serpentaient au-dessus de ma tête comme des boas mythologiques, les troncs gros comme des pattes d’éléphants monstrueux, n’avaient pas bougé, n’avaient pas frémi. Traversant l’immense feuillage, un éclat de soleil frappait le pied de la géante. J'y posai la main, caressant la pierre grise, et le trouvai aussi chaud que celui d’une vivante.
novembre
On en parle encore, de temps en temps, mais le cœur n’y est plus. L’excitation et la curiosité sont bien retombées, et d’autres événements, tragiquement plus tragiques, ont fait passer cette affaire au second plan des journaux, et dans les esprits. L’enquête, pourtant, se poursuit, même « en l’absence du moindre indice », ai-je lu et le milieu artistique a été pendant un temps, « investigué » : On a soupçonné un marchand d’art, en difficultés financières, d’avoir commandité l’opération afin de renflouer ses caisses, mais on n’a pas trouvé d’argent suspect sur ses comptes et il a été mis hors de cause il y a peu. Une autre question reste sans réponse: Comment un tel monument, cette géante de basalte, si lourde - il a fallu une semaine, une grue géante, elle aussi, et quatre personnes pour l’installer, tronçon après tronçon - a-t-elle pu disparaître en une nuit ? Une femme, « habitant le quartier de longue date », a dit l’avoir vue, alors que comme chaque soir elle sortait son petit chien pour leur dernière promenade, autour de 21 heures. Après elle, personne -le quartier est très calme- jusqu'au lendemain, où vers sept heures un autre riverain avec son portable, alerte la police : ayant pris l’habitude de faire, au pied de la géante, une séance d’assouplissement avant de s’éloigner en petites foulées pour son jogging quotidien sur les bords de la rivière, comme tous les matins, précisait-il fièrement, l’incroyable disparition ne pouvait lui échapper. "C’est court pour un tel déménagement", concluait l’article un peu narquois, "mais les voleurs étaient particulièrement bien organisés et déterminés ", avait déclaré le Préfet . Pourtant, mon ami Ëljo –il s’appelle en réalité Joël, mais il trouve son prénom « plus fun » à l’envers, plus manouche, dit-il, car il est musicien, et sa guitare en effet a le charme de celle de Django, m’a dit ceci, l’autre jour, qui me laisse bien perplexe : il n’est passé par là que quelques instants avant le sportif matinal, et à ce moment la géante, il pouvait l’affirmer, « malgré tout, était bien là, tout tranquillou ». « En fait, j’avais été invité pas loin du tout à une fête », m’a-t-il raconté, chez des amis –il a toujours eu beaucoup d’amis-, des gens qu’il avait connus il y a plusieurs années, quand il habitait le quartier. Il avait préféré, sortant de chez eux fort tard dans la nuit, ou plutôt, corrigea-t-il, « fort tôt le matin, 6 heures ou et demie », marcher jusqu’à chez lui, de l’autre côté de la ville, ayant plus bu que de raison, et trop sûrement pour conduire. Il avait été content de retrouver tous ces gens qu’il n’avait plus vus depuis mais qui se souvenaient de lui, gens du quartier, artistes débonnaires dont les œuvres pourtant précieuses, selon lui, n’étaient connues que d’eux-mêmes, artisans aux métiers perdus, serruriers, luthiers, et même un constructeur de barque, installé depuis toujours au bord de la rivière. Il faisait encore nuit, mais la géante, quand il avait rejoint le bord de l’eau, était bien là et même il l’avait bien aimée, ne l’ayant pas encore vue. Sa haute silhouette se dressait dans la nuit, sous les platanes immenses, toute noire, souveraine, avait-il trouvé, et il s’était arrêté un moment à ses pieds. Bien sûr, il n’a pas jugé utile, ou judicieux, de témoigner devant « les autorités », a-t-il dit en souriant : « Qu’ils se débrouillent, profitons quant à nous et entre nous du délicieux mystère » et puis, a-t-il conclu, « un témoignage aussi invraisemblable, contredisant le préfet, qui plus est, et venant d’un faux tzigane aviné et noctambule, tu sais, ça pèse pas lourd, moins lourd qu’une géante de sept mètres de haut en vraie pierre, même volcanique, et moins lourd aussi que la parole d’un petit chien ou d’un sportif sain de corps et d’esprit », et il a éclaté de rire. Un quart d’heure avait peut-être suffi pour que disparaisse la géante douce. Quel magnifique mystère, en effet, et mon ami est un vrai poète ; il sait protéger la beauté et la douceur du monde. Les journaux et le gens finiront par oublier. Hier soir tard, sur une chaîne d’info, un journaliste spécialisé dans les dossiers judiciaires, a évoqué l’affaire, à propos d’une tout autre histoire, celle du vol de la Joconde en 1911. Il a écorché le nom du sculpteur, et fait une erreur sur le nom de la commune où s’était produite la disparition. L’oubli a déjà commencé son œuvre. Heureusement pour nous, disait-il, on avait retrouvé « la Gioconda », et en bon état. On était bien avancé. Un amoureux de la géante a dû lui prendre la main sans un mot, me suis-je dit, et maintenant ils vivent ensemble dans sa chambre, peut-être même qu’il l’a emmenée dans sa Twingo vert pomme et qu’elle a kiffé l’air frais dans ses cheveux. A Beau rivage, le socle de béton, assez bas, où elle s’est tenue l’espace d’un automne, au bord de la rivière sous les grands platanes, a déjà disparu, lui aussi, sous les feuilles mortes, jaunes, rousses, rouges et brunes déjà. Ce qui disparaît de notre vue disparaît ensuite de notre mémoire. Parfois je me demande si, comme je l’ai rêveusement imaginé cet été, elle ne s’est pas vraiment mise en route, en cette nuit d’octobre, pour de vrai ♦
hier
En début d’après midi, alors que nous finissions de déjeuner distraitement, fatigués peut-être par la chaleur et par ce copieux repas de poissons, de ceux qu’on pêche ici, et qu'on cuisine en sauces au vin blanc, lourdes et délicieuses, il se fit tout à coup un grand bruit d’eau et de feuillages, comme si du vent –mais il n’y avait aucun vent- avait bousculé haineusement les roseaux et les saules qui enserrent la rivière, proche ici de son embouchure. De cette véranda où nous étions, on ne domine que d’un mètre ou deux cette vaste étendue de végétation lacustre où serpente paresseusement un large méandre d'eau vert pâle. Ce sont surtout, depuis quelques années, des roseaux, et des bambous, et qui finiront, se dit-on un peu angoissé, par tout envahir, par "avoir raison de tout". Les saules semblent encore lutter, mais leur feuillage argenté et mouvant semble bien fragile, pressé entre les belles colonies vertes des bambous. Au milieu, sous un ciel souvent laiteux et chaud, la rivière laisse rêver qu’elle est une coulée de jade, opaque et lente. Trois ou quatre maisons crèvent cette végétation, sur l’autre rive. Comme la nôtre, elles sont construites sur des pilotis, probablement pour échapper aux crues de cette rivière capricieuse. Pourtant, on a plutôt l’impression que si ces maisons se hissent ainsi, c’est pour échapper à l’encerclement de la végétation, pour que leurs habitants puissent respirer un peu. les toits font plus penser à des abris, à des granges, qu'à de véritables maisons. Alors que nous cherchions la cause de cette agitation, nous nous aperçûmes qu'une gigantesque femme nageait au milieu de la rivière. Sa chevelure blonde ondulait dans son dos et brillait comme de l’or. Elle ne nageait pas la brasse comme une sage baigneuse, mais un crawl lent et athlétique. Ses bras musculeux apparaissaient alternativement, dans un mouvement parfaitement régulier, et tout son corps semblait onduler, entraînant à sa suite de profonds remous. Les battements lourds de ses pieds résonnaient dans le silence comme ceux des roues à aubes qui battent les eaux du Mississipi ou de l’Orénoque, au flanc des vieux navires de ferraille blanche. Elle occupait presque toute la largeur de la rivière et à son passage se levait une vague puissante, véritable mascaret haut d’un mètre ou deux, formant derrière elle une traîne monstrueuse, comme celle d’une reine ou d’une mariée, bousculant la végétation, faisant naître cette rumeur qui nous avait avertis. La rivière se jette à dix kilomètres, dans un golfe sablonneux aux rives incertaines, et il ne faisait aucun doute pour nous qui assistions médusés à ce spectacle magnifique et incompréhensible, que c’était vers ce but qu’elle nageait ainsi, infatigablement. Elle disparut au bout de quelques minutes, quand elle dépassa le point où le méandre, dans sa courbe, est avalé par le moutonnement infini des arbres. La chose qui me charma le plus, finalement, quand j’y repense, c’est la couleur de ses bras, de ses épaules et de ses fesses sous la vague transparente qui naissait dans le creux des reins: un vert qui était celui-là même de la rivière, un vert d’eau, ou de bronze, pâle et cendré, comme si cette femme eût été faite d’eau, de la même eau que la rivière qu’elle descendait, comme si, en exagérant un peu, elle eût été cette rivière elle-même. Ce ne fut qu’un rêve, mais de toute cette histoire, il me sembla marquer la véritable et inexorable conclusion ♦
(une histoire inspirée par une sculpture de l'artiste Sanam Khatibi, "je serai douce")

LE JARDIN DUMAINE ET MOI (songeries)

LE JARDIN DUMAINE ET MOI (songeries)
Luçon, l’été, c’est bien calme. Allée Saint François, sous les arbres en arceaux il n’y a aucun bruit et on marche comme dans sa maison. Du mur du jardin Dumaine dépassent de grandes branches sombres. Des souvenirs de mon enfance y sont cachés. Les sons, les parfums, les décors me rappellent à chaque instant de délicieux plaisirs. Aujourd’hui encore ces sons, ces parfums et ces décors, tout aussi frémissants de charme, gravent dans ma mémoire de nouvelles images, peut-être dans d’autres couleurs. Ce jardin a planté en moi de profondes racines. Profondes comme celles de ses vieux arbres fatigués, sous lesquels je m’arrête, lors de mes visites. Sans doute parce que mes souvenirs d’enfance y sont doux : promenades avec mes parents, mes sœurs, mon frère, et avec eux fêtes de nuit, fêtes des écoles, rencontres avec ces vieilles gens qui nous paraissaient si sages, et plus encore, souvenirs de ces souvenirs qui s’affinent ou s’érodent encore en moi, me laissant au fil du temps un parfum de plus en plus léger mais aussi de plus en plus subtil. Ces souvenirs ont créé en moi un autre Jardin Dumaine, personnel, intérieur, très sentimental et qui embellit avec le temps. Quand je retrouve le vrai, c’est avec un mélange de plaisir et de surprise, parfois de déception. Néanmoins j’arrive, et c’est déjà un autre plaisir, à faire se superposer les deux jardins, le vrai et le rêvé. J’ai alors l’impression, instable, de marcher dans une réalité composée de deux registres, où l’un et l’autre échangent leurs partitions, me plongeant moi-même dans un temps où sont mêlés passé et présent, dans une réalité ambigüe, faite de rêve, de souvenirs et de conscience présente. Cheminant par les allées parfumées de laurier, j’ai alors de délicieux vertiges. J’en sors tout engourdi comme d’un film envoûtant ♦

LA LIGNE D'HORIZON (aventures infimes)

LA LIGNE D'HORIZON (aventures infimes)
Du haut de la dune où elle se tient pour l’instant, ce n’est qu’une infime différence au loin, entre les nuages du matin qu’a laissés une nuit d’orage, et la mer, plus lumineuse. Puis tout autour jusqu’à elle il n’y a que le moutonnement sombre des pins. Une envie la prend, atteindre la blancheur qui luit par delà la forêt, juste sous le gris du ciel. Elle disparaît alors dans le feuillage, éveillant les geais et les pies. La ligne d’horizon a laissé dans ses yeux une marque tenace, un éblouissement qui la guident dans l’ombre verte et l’odeur de résine mouillée. Mais la forêt n’a cessé de s’approfondir et de s’obscurcir que pour s’éclairer tout à coup comme un ciel qu’abandonne la nuée. La voici à nouveau devant la même ligne pâle, énigmatique, inaccessible. Pure image, se dit-elle, créée par sa présence sur le sable. En marchant vers l’eau elle se déshabille, laissant tomber ses vêtements derrière elle, l’un après l’autre. Elle rencontre enfin les premières eaux de la marée montante dans une complète nudité. Leur apparence lui suggère l’idée d’un escalier aux larges marches très finement superposées, montant vers le gonflement indistinct des flots. Mais elle, comme elle continue sa marche, plutôt qu’emprunter les marches cristallines, elle s’enfonce lentement sous la ligne d’horizon qui, d’immobile et lumineuse qu’elle était, s’assombrit, se hérisse de mille vaguelettes, et devient la courbe mouvante de la houle, l’entourant, la berçant, baignant son visage jusqu’à mi-hauteur, les yeux comme posés sur l’eau. Elle se dit qu’il est amusant qu’il lui suffise d’ouvrir un peu la bouche pour y faire entrer cet horizon qu’elle aperçut tout à l’heure, depuis les dunes boisées. Continuer sa marche la ferait disparaître de la surface du monde, comme se dissolvent les vagues. Mais elle sait qu’après le bain un autre plaisir viendra. Elle reviendra sur la plage, s’étendra sur le sable dans la clameur des flots vifs, seule, infiniment seule au bord de l’horizon ♦

LE JOUR JAUNE (expériences)

LE JOUR JAUNE (expériences)
Dans l’après-midi, le soleil commença à prendre l’aspect d’un disque de cuivre, cerné d’un halo rouge sang. Puis le ciel devint jaune. Sous l’ocre nuée, les visages évoquaient l’Inde, il était facile, et enivrant, de se croire à Madras ou à Bombay. Les ombres s’assombrissaient encore et tournaient au verdâtre. Dans cette lumière chaude et jaune, le vert des feux aux carrefours, les phares des voitures -les voitures allumèrent leurs phares- paraissaient d’une acidité surprenante et toutes les couleurs semblaient détraquées. Dans la rue, dans les magasins tout le monde parlait du ciel, les yeux levés vers cette lumière inhabituelle. A la boulangerie une caissière parlait de tsunami, mot magique et exotique qui semblait convoquer et résumer toutes les angoisses, quoi que sans aucun rapport avec la situation. Les enfants, sortant des écoles car il était cinq heures criaient tout heureux « c’est la fin du monde ! ». Je restais à traîner en ville, curieux de la voir sous un autre jour et d’y découvrir des sonorités, ou des saveurs inespérées. La Loire était un Fleuve Jaune, bordé du vert très adouci des saules flexueux, mélancolique paysage dans un éclairage qui vacillait. Le soleil disparut sous l’épaisse nuée. Quai de l’Aiguillon, vraiment, je me crus ailleurs. On apprit plus tard que Le cyclone Ophélia, remontant bizarrement vers l’Irlande, était passé à deux cents kilomètres au large, sur l’océan Atlantique, entraînant les sables du Sahara. Il avait, soufflant un air brûlant, allumé des incendies gigantesques et meurtriers, en l’Espagne et au Portugal. Jusqu’ici, dans l’ouest de la France, on sentit l’odeur inquiétante du feu. Elle se mêla intimement avec l’émotion qu’avait suscitée en nous l’apparition de ce ciel jaune ♦

ISOLINO MIO (aventures infimes)

ISOLINO MIO (aventures infimes)
« O Nuit, fidèle amie des mystères, et vous, qui, avec la Lune, succédez aux feux du jour, étoiles d’or...»
Il faisait déjà presque nuit, et je commençais à fatiguer, ayant marché toute la journée. La petite route que j’avais suivie pendant toute l’après-midi avait fait place à un chemin de terre où les cailloux roulaient sous mes pieds. Il avait fait très sec tout l’été, mais depuis quelques jours, le ciel s’était chargé de nuages sombres qui s’amassaient au- dessus des champs. Leur ombre obscurcissait les maïs oubliés. Si j’allais ainsi par les chemins depuis cinq jours c’est que, l’automne venu, j’avais eu envie, un peu mélancolique, de marcher seul jusqu’au petit village de Vendée où j’étais né, au fond du bocage. Je n’y étais jamais revenu depuis que ma famille l’avait quitté quand je n’avais pas encore cinq ans. Quelques images décolorées m’en restaient, comme ce long mur de pierre grise au long duquel je me rappelais avoir donné la main à l’une de mes sœurs, ou peut-être à une jeune voisine, Louisette, Irène, ou … pour un départ en promenade printanière. J’aimais à me rappeler leurs naïfs prénoms. Je revoyais aussi le long troupeau de moutons passant tôt le matin devant la maison. Parfois le berger frappait à la porte pour nous montrer, sur ses épaules ou dans ses bras comme un enfant jésus, un agneau né de la nuit, avant de repartir vivement, rattrapant son troupeau, haute silhouette en capuchon gris sous l’averse au milieu des dos laineux. Et je remuais en moi ces doux souvenirs tout en marchant. J’avais voulu parcourir lentement l’espace et le temps qui me séparaient d’eux, m’enfoncer lentement dans ce pays où j’espérais les retrouver. Je voulais les surprendre comme on surprend un bel oiseau en s’approchant sans bruit. Il me semblait que ce village devait garder en lui quelque chose, peut-être juste un parfum oublié, qui me ferait du bien. Je n’avais emprunté que les chemins étroits, découvrant un autre paysage et presque un autre pays, inconnu des autos. Je ne croisais leur route qu’en de légères passerelles ou par de petits tunnels percés sous les chaussées. Au soir de ce cinquième jour de marche, alors que j’allais bientôt arriver et que je croyais déjà reconnaître les formes du paysage, se dressa devant moi la muraille d’une forêt. J’avais voulu partir sans téléphone, désirant être le plus seul et le plus libre possible, un peu comme un oiseau, avais-je pensé, et je n’avais pour me guider qu’une carte routière un peu ancienne. Je m’aperçus qu’à l’endroit où je pensais être arrivé, elle n’indiquait nulle part de forêt : Aucune de ces taches vert pâle qui indiquent les forêts sur les cartes n’y apparaissait. Pourtant je pensais avoir suivi le bon chemin, et j’avais reconnu l’un après l’autre les hameaux que j’avais traversés, et même la forme assez reconnaissable de mon itinéraire, avec ses lignes droites, ses virages, ses zigzags surlignés de vert promettant d’intéressants paysages C’était peut-être un petit bois qu’on avait négligé de signaler et auquel la nuit trompeuse qui tombait donnait l’apparence d’une forêt. Le chemin disparut sous la voûte des arbres, se réduisant à un passage creusé d’ornières où s’amassaient les feuilles mortes. C’était la première forêt où j’entrais de nuit, et je m’abandonnai au plaisir de la sentir refermer sur moi sa fourrure obscure au parfum de fougère. Cette forêt inattendue serait un plaisir. J’avais passé tant de temps à peindre des forêts imaginaires, « forêts de l’âme » disais-je, conscient du ridicule et de l’inexactitude de l’expression, qu’il fallait bien qu’elle apparaisse enfin dans sa majesté, la Forêt tout à coup surgie de nulle part, et peut-être encore de mes rêveries. Il me fallait enfin assumer ces divagations que j’avais laissé venir en moi, dans les pages de mes cahiers et au fil des innombrables forêts de papier que je peignais les unes après les autres, presque toutes pareilles, Infinies et ténébreuses, dans lesquelles je me perdais avec avidité, sans jamais rien y trouver. Allais-je enfin comprendre quelque chose ? Je marchai encore une demi-heure lorsque je discernai loin devant moi, à travers les arbres et filtrée par l’humidité du sous-bois, une lueur pâle, comme suspendue dans l’air. Je pensais avoir atteint la lisière de ce qui n’avait été, finalement, qu’un bois un peu touffu, après lequel la clarté du ciel nocturne se faisait à nouveau. Mais des petits points lumineux percèrent le halo blanc, dessinant une fine ligne horizontale, qui scintillait à travers les arbres. Je ne compris qu’au dernier moment, au bord de l’eau: un lac s’étendait là, énigmatique et silencieux. Aucun souffle de vent n’en perturbait la surface, aucune ondulation n’agitait les roseaux qui l’entouraient. Une barque semblait dormir, près du rivage. Dépliant à nouveau ma carte, je ne fus pas surpris de n’y trouver ni lac ni étang. C’était peut-être une de ces retenues d’eau qu’on avait creusées ces derniers temps pour prévenir les crues ou, au contraire, faire des réserves en cas de sécheresse, noyant les vallées au fond desquelles le cadavre de l’ancien pays, villages, fermes, bois, champs et chemins, blanchit lentement sous la vase. Il me revint en mémoire cette pièce pour piano de Debussy qui me faisait rêver : « La Cathédrale engloutie », avec ses angélus glauques émergeant à la surface de la musique. Une chaîne rouillée, simplement passée négligemment autour du tronc d’un saule, retenait la barque. Je la poussai doucement du pied. Comme si je l’avais réveillée elle gémit en se dégageant des roseaux qui l’enserraient puis glissa, légère, sur l’eau. Si mobile et si libre, elle semblait m’inviter au voyage. Je m’étais, depuis mon entrée dans la forêt, mis avec gourmandise et presque par jeu, dans un état d’esprit qui me disposait ardemment à considérer les choses à travers leur aspect symbolique et presque romanesque, et je me dis que le message que semblait m’adresser cette barque de nuit était bien de me vouer à son apparition. Je m’installai tranquillement et elle m’emporta doucement, ondulant sur l’eau Quittant la rive pour cette ondoyante surface, j’eus la sensation, presque physiquement, de quitter la réalité pour le monde mobile des rêveries. Naviguer ainsi de nuit au milieu d’un lac imprévu, dans une barque volée et vers une destination inconnue, voilà qui avait plutôt l’air d’un rêve. N’étais-je pas plutôt dans mon lit, au plus profond d’un rêve d’errance comme j’en faisais parfois? Mais si les circonstances me ramenaient aussi près de rêves que j’avais faits, c’était sans doute parce que j’étais probablement parti autant pour rêver que pour retrouver des souvenirs perdus. Je naviguais sur une eau qui m’avait plutôt l’air d’un rêve. Je me souvins tout à coup d’une autre barque, sur un autre lac, où j’avais aussi beaucoup ramé, un été lointain. Un souvenir auquel mon aventure de cette nuit paraissait répondre comme un écho, aussi fidèle que celui que renvoie une falaise rocheuse devant laquelle on crie son nom, au fond d’une gorge envahie de végétations exotiques. C’était sur un lac d’Italie, dans le nord du pays, au pied des Alpes. On y avait séjourné en famille, avec ma femme et notre petit garçon, et des amis nous y avaient rejoints, dans une grande maison blanche à l’architecture moderne. Ce lac m’avait semblé lui aussi une énigme. Pourquoi ce mot me venait-il à l’esprit alors que je l’observais, depuis l’une des terrasses de la maison ? Pourquoi, au fait, essayais-je de le « comprendre » ? Peut-être parce qu’il était silencieux, comme un visage fermé. Pâle et sans vie apparente, il était interdit à la baignade. On disait à demi-mots dans les villages riverains que l’eau avait été empoisonnée par des « activités industrielles », quelques années plus tôt. Maintenant il offrait pourtant l’aspect d’un beau paysage, presque sauvage. Un sortilège semblait l’avoir frappé, et si on pouvait y naviguer, il ne fallait pas en toucher l’eau. Ce lac n’était presque qu’une image. Ses rives s’effilochaient en bandes de roseaux et de bambous. La maison disposait d’un ponton de bois qui partait du jardin et s’avançait au milieu de la végétation, sur des pilotis, jusqu’au-dessus de l’eau. Une barque y était amarrée. On avait fait de nombreuses balades sur cette eau inerte, écrasée par une chaleur lourde et sous un ciel plus blanc que bleu. Ses rives n’avaient pas le charme de celles des lacs voisins. Pas de hautes montagnes bleues, pas de forêts mystérieuses, pas de châteaux aux tourelles pointues émergeant des pins. Elles s’élevaient juste un peu tout autour, occupées par des champs, des bois et deux ou trois villages aux maisons dispersées. Une ville se tenait au fond d’une baie, qu’on n’apercevait pas de la maison. Très loin vers le nord se dressait le Mont Rose, corail suspendu dans les brumes matinales qui recouvraient toujours le lac à notre réveil. Souvent, en fin d’après-midi, de violents orages venus des Alpes déferlaient sur nous, transformant pendant une heure ces eaux tranquilles en océan sous la tempête. Le palmier secoué sous l’averse évoquait l’Asie et ses typhons. Puis le calme revenait, le lac retrouvait son visage habituel, placide et muet. Des rameurs apparaissaient, traversant le miroir encore gris pâle : Cinq ou six silhouettes, si fines sur une barque si légère, aux rames si longues, qu’on croyait voir un de ces insectes aquatiques qui glissent sans bruit à la surface des étangs. C’est ainsi que naviguant sur des eaux noires, je revoyais des souvenirs pleins de lumière. Une masse noire, comme une île basse, apparut assez loin devant moi. Pouvait-il vraiment y avoir une île, au milieu de ce lac, lui-même au milieu d’une forêt ? Peut-être s’agissait-il seulement de roseaux, de broussailles entremêlées ou de rochers émergés. Je décidai de l’aborder. Il y avait une île aussi, au milieu de notre lac d’Italie, que nous avions bien aimée, un îlot plutôt. Il était entouré de nénuphars aux grosses fleurs jaunes, où volaient les libellules. Ses contours étaient assez compliqués, formant des petites baies, des fjords encombrés de roseaux. On l’avait approché timidement, puis on en avait fait le tour, petit à petit, en promenades chaque fois plus aventureuses, comme des navigateurs découvrant une terre inconnue. Enfin un jour, on avait débarqué. On y avait trouvé une guinguette abandonnée, aux fenêtres crevées et aux murs de planches décloués. Des pins et des petits chênes verts tordus recouvraient presque tout. Quelques débris oubliés, bouteilles vides, papiers d’emballages, révélaient qu’on venait encore là pour des pique-niques, peut-être, sous les ombrages. Plus tard on avait compris que les gens du rivage y venaient le dimanche, dès le matin, pour passer la journée, apportant des provisions, en plusieurs barques. Ils faisaient de la musique, et de loin on entendait rire, crier, chanter jusqu’au soir. Nous n’allions pas sur l’île ces jours-là, respectant ces rendez-vous du dimanche. C’était vraiment un joli coin, une île des plaisirs, comme celle pour laquelle s’embarquent peut-être les hommes en pourpoint grenat et les femmes en soie rose d’Antoine Watteau. Les enfants adoraient cet îlot, qui les inquiétait aussi un peu. Cette guinguette abandonnée, ces fêtes mystérieuses et ces petits fjords ombragés et encombrés de nénuphars qui semblaient vouloir nous retenir quand nous partions, pouvaient en effet paraître un peu étranges. Ramant vers cette île-forêt et son immobile reflet, j’eus conscience tout à coup que l’image que je devais donner, dans ce décor, reproduisait exactement ces peintures que j’avais réalisées quelques années plus tôt, en une assez longue série, images d’un rêve que j’avais fait plusieurs fois à cette époque. Elles représentaient un voyageur s’éloignant en barque vers une île couverte d’arbres et qui, tout comme le paysage que j’avais devant les yeux ce soir, se reflétait parfaitement dans l’eau, constituant un objet qui semblait flotter dans le temps et l’espace. « Image onirique », m’avait dit un poète chilien, étrange personnage qui laissait imaginer une réincarnation de Fernando Pessoa. On le rencontrait de temps en temps dans les rue de la ville, en veste de velours noir sur une chemise jaune safran, ou tango, mais sobre tout de même, et sous un petit chapeau dont il prenait grand soin, tenant un léger cartable. Venu à l’exposition où je montrais ces images et, comme le poète de Lisbonne, apparemment sous le poids d’une nostalgie envahissante, il m’avait dit que pour lui ce rameur se dirigeait vers sa mémoire, vers ses ancêtres et vers son origine, « fœtus naviguant sur le liquide amniotique de l’oubli, au risque de se noyer », et il avait baptisé cette série de ce titre : Dégringolade vers les z’hauteurs - ou z’auteurs ? - avec cette jolie prononciation qui m’avait plu. Pourquoi pas ? L’interprétation m’avait paru possible. Il y avait bien dans cette image quelque chose d’un retour, ou d’un regard tourné vers la mémoire. J’approchais des premières broussailles. C’était les mille extrémités tordues des arbres noyés, émergeant des eaux. Elles semblaient protéger les abords de l’îlot mystérieux, et, comme autour du château de la Belle au Bois dormant, « en une si grande quantité de grands arbres et de petits de ronces et d’épines entrelacées les unes dans les autres que ni bête ni homme n’y aurait pu passer », ainsi que le disait le récit merveilleux. Prise dans leurs griffes, ma barque s’arrêta. Difficilement, je parvins, en m’agrippant aux branches les plus solides et presque en marchant dans les arbres qui s’affaissaient et craquaient sous mon poids, à mettre pied à terre. C’était sans doute le sommet d’une colline, épargné par la montée des eaux, couvert d’une masse confuse de rochers et d’arbres de toutes sortes. Il s’arrondissait devant moi comme un grand Tumulus funéraire. De quel vieux roi était-ce là le tombeau? Un sentier s’ouvrait dans les broussailles, marqué simplement, peut-être, par le passage d’animaux sauvages allant boire, chèvres ou sangliers, ou par celui des promeneurs. Venait-on là aussi passer les dimanches ? Je parvins vite au sommet. Vu d’ici, le lac formait tout autour un large anneau d’argent, posé dans la fourrure sombre de la forêt. Le sentier redescendait de l’autre côté, tout aussi broussailleux. Et puis plus bas, au milieu des chênes squelettiques, apparurent les restes d’un village à demi-noyé. Des murs gris pâle se dressaient encore , mais ils avaient l’air près de s’effondrer, cernés par les ronces, hargneusement attaqués par une végétation désordonnée. Des saules, des peupliers, des chênes jeunes avaient colonisé les jardins mais aussi les maisons éventrées, abandonnés à la sauvagerie. Elle régnait en maître sur le pauvre village dépecé. Le clocher désolé surplombait tout ce silence. Etait-ce mon village ? Le long d’un mur, je remarquai un vieux banc où retombaient en cascade les fleurs d’un jasmin. Fatigué, je m’y allongeai. Il faisait doux sous les étoiles parfumées ♦
«… Vous tous, dieux des forêts, dieux de la nuit, assistez-moi! » ( Ovide, Les Métamorphoses, Livre VII )

L' ECOLE DU CENTRE (songeries)

L' ECOLE DU CENTRE (songeries)
Le bas relief de Joël Martel, une des plus jolies choses de Luçon, et où garçons et filles se donnent la main en une ronde autour du monde séparait pourtant le portail des filles et le portail des garçons, l'école des filles et l'école des garçons. Nous y attendions notre mère après la classe. Je caressais de la main les courbes tendues comme une étoffe légère gonflée par le vent. Des danseurs, des danseuses, un musicien, des faucheurs de blé harmonisaient leurs gestes dans une heureuse chorégraphie. Tout semblait promis au bonheur pour toujours. Donc l’humanité serait belle, nos jours ensoleillés, nos cœurs emplis d’amour et de fraternité. Le soleil de la fin d’après-midi mettait en valeur le beau grain de la pierre blonde. Confusément je sentais qu’on mettait en nous l’espérance que nous serions cette humanité. Confusément je m’inquiétais. Je ne me croyais pas à la hauteur de cette espérance, et j’étais si nul en calcul ! Ça ne faisait rien, j’aimais cette danse, cette brise et ce soleil qui animaient la pierre; ça chantait partout, la beauté existait, quelque chose de plus tangible, ces hommes et ces femmes, ces champs, ces beaux oiseaux et de plus accessible peut-être ♦

LES YEUX (poésies poétiques)

LES YEUX (poésies poétiques)

L' ÂME (expériences)

L' ÂME (expériences)
Ce ne fut sans doute qu’un rêve puissant, provoqué par mon agitation nerveuse. Il me sembla, une nuit, alors que je dormais et qu’elle reposait dans une chambre tout près de la mienne, que ma grand-mère morte deux jours plus tôt dans son lit, traversait ma chambre lentement, très lentement, glissant plutôt que marchant et drapée d’une grande robe d’un gris éblouissant, le gris de la lune qu’on appelle cendrée. Sans que je pusse bouger un doigt, sans que je pusse fermer les yeux, je la vis et je la sentis me frôler imperceptiblement et disparaître derrière moi par la fenêtre ouverte. Rêve ou réalité, je pensai que son âme douce venait de s’en aller ♦

LA FLÛTISTE (aventures infimes)

LA FLÛTISTE (aventures infimes)
Henri Rousseau: la Charmeuse de serpent
Elle aime parcourir les environs du lac, sur son vélo des années soixante. Souvent elle emporte son instrument et joue en plein air, pour elle seule. Le chant de la flûte à bec, soyeux et boisé, peut emplir les plus vastes paysages. Parfois, il lui semble que les oiseaux lui répondent, une alouette, des corbeaux dans un contrepoint auquel elle s’efforce de répondre, à son tour à leur écoute. Il lui plaît de se rappeler tout en jouant que sa flûte n’est qu’une branche d’érable ingénieusement travaillée, et son souffle qu’un peu du vent qui traverse les montagnes. La musique, se dit-elle, se snobant elle-même, jaillit de ces humbles contingences comme une abstraction pure, une cosa mentale. Un jour, elle découvrit un kiosque abandonné au milieu des herbes. Il lui sembla que cette scène vide l’attendait, ainsi que tout le paysage déployé alentour. L’après midi était brûlante; se sachant seule, la fantaisie lui prit de jouer nue. Lui revint en mémoire la magnifique Charmeuse de Serpents du Douanier Rousseau, qu’elle admirait, encore enfant, en écoutant des heures durant le Prélude à l’Après-midi d’un Faune, de Claude Debussy. Une reproduction de cette peinture illustrait la pochette du disque. Ainsi avait-elle fait la découverte des deux œuvres en même temps. Il lui avait semblé qu’elles lui révélaient l’existence d’un monde un peu secret et merveilleux dans lequel il lui serait peut-être donné, un jour, d’entrer. Ces deux œuvres sont pour elle indissolublement liées, et précieuses. Le Prélude, peut-être parce qu’elle est musicienne, lui paraît la plus précieuse des deux. Il est pour elle un véritable talisman. Elle pense que cette fascinante mélodie a le pouvoir d’ouvrir la porte de certains paradis. Elle se déshabilla et s’assit sur les marches du petit bâtiment. Les premières notes du Prélude s’élevèrent au milieu de l’immense paysage. Ayant parfaitement fait jouer les correspondances (son corps, nu, et celui de la Charmeuse, le panorama sauvage qui l’entoure et la forêt du Douanier, la présente après-midi et celle rêvée par le musicien inspiré), il lui sembla, en jouant, que s’incarnait dans sa musique, portée à cet ultime degré de pureté par l’offrande extrême qu’elle lui faisait d’elle, le chant même du « pâtre divin ». Plus tard, redescendant vers les hommes par les chemins vicinaux où bruissaient les sauterelles, heureuse et se moquant tendrement d’elle-même, les cheveux flottant dans le vent chaud, elle souriait car elle se rappelait cette charmante exclamation, lue elle ne savait plus où : « Qu’il est de plaisirs pour les âmes sensibles ! » ♦

HULOTTE AU CLAIR DE LUNE (rêves)

HULOTTE AU CLAIR DE LUNE (rêves)
Je viens d’être réveillé par une petite chouette. Je me lève pour la voir car j’ai l’impression qu’elle est tout près, les moindres inflexions de ses cris étant tout à fait perceptibles, comme lorsqu’on est près d’un musicien. Par la fenêtre de la chambre, j’aperçois un coin de la terrasse dans une ambiance très bleue et très noire d’une belle nuit. Alors que le cri se fait entendre à nouveau, ayant repéré exactement d’où il provenait, je découvre avec ravissement une petite chouette, noire comme une ombre chinoise sur la clarté de la nuit, posée sur une branche de l’un de ces petits arbres qu’on a sur la terrasse. Je la vois, alors qu’elle chante à nouveau ; je suis si près que je vois les plumes de sa tête, aigrettes légères, s’agiter alors qu’elle finit son hou-hou délicieux. Je l’observe ainsi un long moment, puis je me réveille. Je me dis alors, réfléchissant à ce doux rêve, que c’est peut-être le vrai chant d’une vraie hulotte qui m’a procuré ce rêve, comme cela arrive souvent, puisqu’il arrive aussi, de temps en temps, qu’une chouette se fasse entendre par ici, la nuit. Ce que je trouve amusant, quand même, c’est la ressemblance, comme une chose ressemble à son reflet dans un miroir, entre mon rôle dans mon rêve et mon rôle dans la réalité, au même moment. Peut-être que le cri d’une chouette sur la terrasse vient de me faire rêver au cri d’une chouette sur la terrasse ♦

L' AUTOMNE (poésies poétiques)

L' AUTOMNE (poésies poétiques)

LA MORT DU SOLEIL (rêves)

LA MORT DU SOLEIL (rêves)
Au collège où ma femme travaille, à la fin du cours (mais que fais-je ici ?) une élève, repoussant le rideau sombre tiré sur une après-midi trop ensoleillée, fait timidement la remarque que le soleil est vraiment très gros. Tout le monde rit d’elle mais, tournant les yeux vers le ciel, je m’aperçois aussi qu’il est bizarre. Il me paraît aussi gros que la lune, et montre, comme la lune, des taches cuivrées, dessinant des mers, des continents si visiblement que c’est à se demander si ce n’est pas la lune ou bien le reflet, inexplicablement projeté dans les airs, de la terre elle-même, dans d’autres couleurs. Mais cette lune, ou cette terre, ce n’est pas la lune ni la Terre, car la lumière provient d’elle, on le voit bien, et c’est bien le soleil. Mais alors là, elle a raison cette fille, c’est vraiment bizarre. Personne n’a le temps de s’interroger plus que ça, car tout va très vite. L’astre enfle à vue d’œil, les taches semblent s’agrandir, s’écarter les unes des autres, comme sous l’effet d’une monstrueuse pression interne. Entre elles un extraordinaire rayonnement lumineux jaillit soudain, comme de l’or liquide et le soleil, énorme, explose ♦

DANS LA SOIREE QUI SUIVIT LA MORT DU SOLEIL (rêves)

DANS LA SOIREE QUI SUIVIT LA MORT DU SOLEIL (rêves)
J’ai toujours en tête le fait qu’il y a eu un problème avec le soleil, dans la journée. Je suis maintenant dans un parking, installé dans un champ, comme on en trouve à la campagne quand il y a une grande fête, un vide-greniers géant, et qu'on transforme les champs des environs en parkings herbeux et cahoteux. Il fait nuit, « évidemment », me dis-je. Je me sens angoissé et déprimé, sans doute à cause de ce qui s’est passé dans la journée. Beaucoup de voitures sont donc alignées dans l’herbe déjà imprégnée de rosée nocturne. Je regarde le ciel et il n’est pas noir uniformément. On y trouve quantité de taches brunes, ocre, comme s’il y avait d’immenses feuilles mortes en suspension, très haut, et mollement bercées, comme celles qu’on voit flotter à demi-décomposées entre deux eaux au bord des étangs l’hiver. Je me dis que ce sont peut-être, sûrement même, les fragments laissés par l’explosion du soleil, dont je me souviens avec une sorte de nausée. Je me dis qu’ils vont rester là pour toujours, dans ce ciel noir pour toujours, faiblement éclairés, détritus flottants, planants, écœurants. J’ouvre la porte arrière d’une voiture, qui n’est pas la mienne, et j’urine dedans, puis la referme, un peu satisfait. Puis je m’éloigne en marchant vers des musiques et des lumières lointaines, là-bas, sous les arbres ♦ (Bizarrement, ces deux rêves, séparés par mon réveil après le premier se suivirent comme deux épisodes d’une même histoire ; j’ai eu la chance de me souvenir des deux, et que le deuxième n’efface pas le premier.)

LE CHêNE DE VIVELLE (songeries)

LE CHêNE DE VIVELLE (songeries)
photo Catherine Michau-Guionnet
En forêt de Vivelle, se dresse un vieux chêne, aux branches tordues. Il rappelle beaucoup ceux qui se tordent de froid dans les tableaux de Caspar David Friedrich. Celui-ci se tord peut-être de douleur, car depuis un certain temps, les gens des environs se piquent d'enfoncer, sur toute la surface du tronc et jusqu’à une hauteur que peut sans doute leur permettre d’atteindre une petite échelle, je pense jusqu'à trois mètres ou quatre au plus, des clous de toutes les sortes et de toutes les tailles, clous dorés de tapissier, pointes, vis, pitons, punaises de bureau de toutes les couleurs. On y trouve aussi des médailles, de petites effigies religieuses, des ex-votos devenus mystérieux, souvent improvisés comme, ainsi que je l'ai remarqué un peu surpris, le logo d’une marque de voiture. J'ai pensé que c'était pour remercier qu'un accident d'auto, survenu sur une petite route des environs n'ait tué personne. Dans une niche vitrée, elle-même clouée sur le tronc, plus haut, une statuette de la Vierge Marie décolorée règner sur cet autel forestier. Des petites chaînes dorées sont suspendues par endroit en festons d’un clou à l’autre, parfois des colliers légers de perles de verre. La mousse, les lichens chevelus envahissent plus ou moins ces offrandes, selon leur ancienneté. Rouille vieille et doré récent de pacotille se mélangent ainsi, tout autour de l’écorce torturée par l’âge et ces pratiques. Des toiles d’araignées pendent aussi, comme ces mystiques offrandes, devant des anfractuosités dont on se demande si elles sont l’œuvre du temps ou celle de vieux oiseaux morts depuis des lustres au fond de ces cavernes de bois, et où l’on n'aperçoit que le reflet glauque d’une perle de verre ou de plastique. Curieux mélange de pacotille et de mysticisme, de superstition et de foi naïve et pure, ce monument vivant (ses branches douloureuses portaient allégrement en ce début de printemps des bouquets de tendre feuillage bouclé où chantait un merle), seul au cœur de la légère forêt, semble bien le symbole, ou la preuve, plutôt, de l’espoir toujours vivace, si peu raisonnable mais éternel et si essentiel qui anime le cœur humain. Ces clous se comptent par dizaines, peut-être par centaines. Parfois ils forment des colonies, des constellations aux ramifications sans fin, que semble leur dicter le relief de l’écorce; parfois ils s’espacent, ou disparaissent comme dans ces trous du temps, avalés par la croissance du bois ou de la mousse. Tout autour de l’arbre, quatre bancs, presque démolis, peut-être cardinalement disposés, et qui semblent avoir été faits avec des branches tombées alentour, accueillent ceux qui veulent prier, sans doute, ou simplement se reposer, et peut-être quelques visiteurs comme nous. Rarement, certainement, car l’endroit est peu connu et les habitants des environs n’en parlent pas facilement. Ces réceptacles de la croyance ont d’ailleurs besoin de secret, tout au moins d’une certaine confidentialité, voire d’intimité, de la même façon que les ex-votos semblent préférer l’ombre des vieilles chapelles. Au milieu de la forêt ce chêne est entouré d’autres chênes, aussi tortueux et aussi vieux que lui. Comme lui, aucun n’est véritablement magnifique, ni spécialement gigantesque. Lui seul pourtant est devenu un « arbre sacré ». Aucune marque sur les autres d’un essaimage de clous à la tête dorée, de perles décolorées. Lui seul est l’intercesseur des divines puissances. Quand nous l’avons trouvé, et examiné, et tant que nous y sommes restés, nous étant assis sur le banc qui nous parut le plus sûr, un coucou a chanté sans arrêt, derrière le rideau encore clair des feuillages environnants. On aurait pu se dire, si on avait voulu, que c’était quelque chose de surnaturel qui nous parlait ainsi. Je le crus sans le croire; mais je me suis dit que le simple fait de penser qu’on pouvait le croire était déjà un premier pas. La réalité se double toujours d’une aura de mystère et de temps à autre il est bien doux de se le rappeler ♦

"YVER" (poésies poétiques)

"YVER" (poésies poétiques)
"paysage d'hiver" par Jean Hugo; 1965

UN APRES-MIDI AVEC MARINE (rêves)

UN APRES-MIDI AVEC MARINE (rêves)
Un jour où l’on marchait en ville avec Marine Le Pen -Catherine était depuis longtemps très copine avec elle- il fut question d’aller prendre un café quelque part, ou à la maison. En route nous rencontrâmes des déménageurs, portant une grosse bibliothèque. Ils regardaient Marine d’un air réprobateur, mais ça la faisait rire, elle disait qu’elle était habituée. Alors, que nous passions près d’eux ils faillirent faire tomber leur meuble sur moi, l’un des déménageurs étant visiblement trop faible. Ses jambes paraissaient « molles comme du coton », aux dires de ses compagnons. Nous décidâmes avec Marine, d’aller prendre le café à la maison, située sur un large boulevard bordé de platanes. Devant la maison, dans un petit jardin, il y avait des dizaines d’enfants, sous des parapluies, assis dans l’herbe et sur les marches d’un petit escalier qui montait à la porte d’entrée. Je m’étais assis, ainsi que Catherine et Marine, au milieu d’eux et ayant trouvé par terre une bouchée au chocolat, enveloppée dans une papillote de papier alu, je m’ aperçus en la goûtant qu’elle était remplie de délicieux Muscadet. D’un air absolument émerveillé je le dis à Catherine et Marine qui se moquèrent de moi : elles le savaient bien, et d’ailleurs, tout le monde en mangeait déjà ! Ce rêve me sembla incorporer des éléments que j’avais récemment rencontrés. J’avais mangé la veille, avec beaucoup de plaisir, quelques carrés de chocolat, chose que par oubli sans doute, je n’avais faite depuis longtemps. Pendant plusieurs jours, je venais de dessiner des étiquettes de bouteilles de Muscadet pour Eric, un ami vigneron. Pendant la semaine Marine Le Pen était apparue à la télévision, et la veille encore, sans doute entre deux chocolats, j’avais « déménagé » (un fauteuil de cinéma). Et puis Catherine est très copine avec une fille, Valérie, et elles se promènent souvent ensemble, ainsi qu’avec une autre amie, proche du monde politique. Les enfants, d’où venaient-ils, sous leurs grands parapluies ? Peut-être de cette multitude d’enfants qu’on avait entendu crier pendant plusieurs jours, participant à « Bouge ton été » une initiation à toutes sortes de sports qui se déroulait sur les pelouses et sous les arbres du stade et du parc de Procé pour les enfants qui restent à Nantes pendant les vacances. Et puis il avait beaucoup plu et j’étais sorti avec un parapluie ; la pluie en été me plaît toujours beaucoup, elle me charme et je me souviens longtemps de ces averses délicieuses. Tout cela a l’air de se mélanger comme dans un collage d’images, ou comme les perles d’un collier de fantaisie ♦

LE MIROIR (aventures infimes)

LE MIROIR (aventures infimes)
Il faisait si chaud en voiture, qu’en apercevant ce petit lac en contrebas de la route, à travers les arbres, elle n’a eu qu’une envie : s’y baigner ! Un chemin qui y descendait lui a permis de se garer sous des eucalyptus un peu poussiéreux et les jolis fruits tombés à terre ont parfumé sa marche, jusqu’au bord de l’eau. « Lac, c’est un bien grand mot, s’est-elle dit, étang, plutôt, ou presque mare, mais ça ne fait rien, c’est charmant ici, et surtout, personne ! » et tout de suite elle a plongé, et la fraîcheur de l’eau a été un vrai bonheur. Maintenant, allongée au soleil sur une étroite plage de sable rustique, elle se dit que la terre est un vrai paradis, puisque voyageant dans de fabuleux territoires, on peut à tout moment s’arrêter pour butiner de tels délices, et que… Se réveillant, car elle s’est endormie au milieu de ces vagues rêveries d’après baignade - la baignade lui donne toujours de doux vertiges, qui prolongent sur le sable où elle s’allonge l’ondulation des eaux et l’entraînent vers le sommeil – elle se lève et s’avance pour un dernier bain, un bain d’adieu au lieu, bain d’adieu aux dieux, dit-elle pour s’amuser, avant de reprendre son chemin. Mais ayant remarqué comme le paysage se reflète parfaitement dans l’eau, elle a envie d’y entrer doucement pour n’en pas troubler l’image. Elle entre dans ce miroir qui l’accueille et la reflète à la fois et où s’inversent les collines qui l’entourent. Bientôt ses pieds quittent le fond tiède et vaseux, qui l’écœurait. Libre à présent, précédée d’une suite de lentes ondulations qui mêlent inexorablement le bleu du ciel, le vert sombre des collines, le blanc éblouissant des énormes nuages, inaccessibles montagnes, elle nage vers les beaux reflets des Monts Métallifères que coiffent de sombres forêts. Alors que le paysage mouvant l’entraîne dans un délicieux étourdissement, dans sa tête résonne, comme si un orchestre s’était installé subrepticement au bord de l’eau, l’ouverture de la Traviata : sans doute parce qu’à Livourne, la semaine dernière, sous un ciel bleu très pâle, en partance pour isola Gorgona, elle l’a entendue alors qu’elle admirait un autre reflet, celui de la vieille ville s’amenuisant sur l’eau plate de la rade et devant lequel tournoyaient des mouettes. Au bout d’une minute, peut-être deux, se rappelle-t-elle maintenant à plaisir, la musique avait été brutalement coupée, « familièrement » lui paraît plus juste, et après un grésillement électrique inesthétique, le commandant du ferry avait d’une voix pleine d’entrain, mais solennelle un peu, souhaité en cet italien qui la faisait toujours frémir de joie, une bonne traversée à ses passagers. Nageant, le visage sortant à peine de l’eau, elle se dit qu’elle est sur le pont d’un bateau, en traversée de quelque baie, et même qu’elle est ce bateau lui-même. Et elle sent avec plaisir les remous se refermer gracieusement sur son dos, s’apaiser derrière elle, comme se refermèrent les flots sur le passage du petit ferry boat. Elle avait repris le même bateau au retour, c’était ce matin même, et le même rituel avait présidé au départ de Gorgona Scalo. Sans doute était-ce une pittoresque fantaisie du commandant. Elle l’avait appréciée plus encore, alors que masquant l’île qui disparaissait, claquait gaiment le petit drapeau vert et rouge sur le pont arrière où elle s’était installée. Mais là, elle éprouve tout à coup le besoin de sortir de ces enfantines rêveries, et prise de frénésie, elle bat des pieds et des mains, bouleversant tout autour d’elle les reflets et les transparences. Tout se mélange, le sombre des collines, le bleu, le blanc, le vert du magnifique paysage, et des nuages de vase montent des remous autour de son corps ondoyant. Son rire éclate, clair comme le chant d’une fontaine, un jaillissant jet d’eau, au milieu de la belle solitude ♦

"SEMBLABLES, JUSQU'AUX LIMITES MILLIMETRIQUES DE L'IDENTITE ABSOLUE"*

*Jacques Audiberti, Le Maître de Milan
Ce matin à la boulangerie, j’ai rencontré deux petites filles de treize ou quatorze ans ce matin, à la boulangerie de mon quartier. Elles se ressemblaient tellement qu’on aurait dit la même petite fille deux fois. Leur teint, l’expression de leurs visages doux et sages étaient les mêmes, et leurs cheveux avaient les mêmes ondulations et les mêmes reflets. Les bras, les mains, les jambes de l’une étaient les bras, les mains, les jambes de l’autre. Habillées de la même façon exactement, elles avaient aussi choisi les mêmes baskets blanches sauf qu’une minuscule étiquette collée au talon différait par la couleur, bleue chez l'une, verte chez l’autre . Voulaient-elles souligner par la dimension infime de ce détail leur extrême gémellité, ou voulaient-elles au contraire, par cet invisible ou presque symbole d’altérité, signifier que malgré toute apparence, elles n’en n’étaient pas moins chacune une personne profondément unique ? Elles voulaient des bonbons. Je n’ai pas su si elles aimaient les mêmes ♦

AU CONCERT D'ORGUE (expériences)

AU CONCERT D'ORGUE (expériences)
« le bonheur, se dit-il, n’est peut-être que dans l’instant qui fuit. » Yasunari Kawabata, Le Grondement de la montagne
La musique plus que toute autre expression artistique me semble nous placer devant l’évidence de la fuite du temps, aussi cruellement qu’elle peut nous être douce. Est-ce pour cela qu’elle fait si facilement naître nos larmes ? Une magnifique mélodie ne se révèle, et les émotions, les rêveries qu’elle nous inspire, que pour mourir à jamais. A l’orgue de chœur émerge le crâne chevelu du « professeur Tsuko », en voyage en Europe, d’après le doux présentateur de l’après-midi. Une très fine jeune fille l’accompagne, tournant les pages des partitions. Peut-être sa fille, me dis-je, en l’espérant : Comme dans les romans de Kawabata, leur relation semble empreinte de la même retenue en même temps que de la même profondeur, et d’une silencieuse complicité. Juste devant moi un aimable couple de touristes; ils assistent à tout le concert, se parlant avec une admiration réciproque, la jeune femme un peu espiègle et parfois pensive, l’homme plus dense, plus absent mais sans doute très drôle : chacune de ses paroles fait rire sa compagne. Je ne les entends pas, je ne vois que leurs lèvres bouger, comme dans un film où la musique occupe tout le son, une très belle « litanie » de Jehan Alain ♦

DOUCE AGONIE (rêves)

Je sais qu’on m’attend et qu’il va mourir, et je me hâte. Quand j’arrive il est là, assis par terre, au milieu de ses amis. Ses cheveux blancs sont très longs et son visage jaune pâle est très émacié. Un sourire doux l’illumine quand il me voit. Je prends sa main, m’asseyant près de lui, et il meurt, et tout le monde est content. Qui est-il, je ne sais pas, mais on se connait depuis longtemps, peut-être mon oncle, peut-être un ami ♦

LE FAISEUR DE HAÏKU (poésies poétiques)

LE FAISEUR DE HAÏKU (poésies poétiques)

N'IMPORTE QUOI! (expériences)

N'IMPORTE QUOI! (expériences)
Que me veut-elle, assise sur la plage, en cette tiède matinée de septembre, à m’observer alors que, la taille entourée d’une serviette de bain un peu courte, je m’évertue non sans difficultés à me glisser dans mon maillot? Ne lui a-t-on pas appris à ne pas fixer les gens ainsi, à plus forte raison lorsqu’ils se contorsionnent comme je le fais, pour rester décent? Peut-être un peu sotte, me dis-je, car sous son gros chignon mou un peu défait, son air est d'un chien battu, mais doux. Cependant un sourire éclaire son visage, fugacement, alors que ma serviette décidément m'échappe et que j'apparais, fugacement aussi un peu nu. Fantasque, ou nymphomane, prête à l'aventure, l'esprit libre? Mais son parfum m'arrive tout à coup, bien qu'elle se tienne à une dizaine de mètres de moi, porté par la brise inconstante qui court sur le sable. C'est un parfum lourd et puissant, qui rappelle les années soixante-dix, musc ou santal? Non, patchouli! A la fois délicieux et indigeste, excitant et inquiétant, évocateur d'amour et d'intimité, plus que de plage en été, de pénombre plus que de ciel bleu. Alors son attitude tient peut-être davantage à l'état d'esprit qui prévalait dans ces années-là: esprit de tolérance, de liberté, d'amour. Et ceux qui s'abandonnent à ce parfum, j'ai toujours pensé qu'ils s'abandonnaient aussi aux valeurs qu'il me semble transporter dans ses lents méandres. Enfin, je suis prêt, et sans paraître lui accorder d’attention, je descends vers la mer, sachant, ou plutôt souhaitant son regard sur moi alors que ma silhouette diminue. Quand je remonte vers ma serviette, je remarque que la jeune fille, allongée maintenant sur le ventre, peut-être endormie, car un livre gît, retourné dans le sable à son côté, ne porte en bas qu’un minuscule maillot, si minuscule que j’ai cru d’abord qu’elle n’en avait pas : ses fesses, parfaitement bronzées, ce qui montre qu’elle doit passer tout son temps ici depuis un bon moment, et ainsi offerte au soleil, paraissent nues. Mais un fin cordon, peut-être bleu marine, ceignant sa taille, les sépare, et disparaît entre elles. En haut pourtant, elle est presque trop vêtue, sur une plage : une sorte de gilet assez court, en lainage écru, lâche de maille et léger, fermé dans le dos par un laçage mou et compliqué, et à travers lequel le bronzage émeut. Ses seins, me dis-je, si elle se tournait, seraient bien émouvants aussi, avec leur pointe ingénue traversant par hasard les mailles distendues… Exhibitionniste, un peu? Ca ne me dérange pas ; j’ai pour cette disposition d’esprit la plus grande indulgence. Un body, ça s’appelle un body, me dis-je, et lassé par ma baignade, heureux sous tout ce bleu, satisfait d’avoir retrouvé ces jolis mots en i, body, patchouli, je m’endors un peu. Pas assez pour ne pas "me féliciter de ma félicité ", de cette indéniable et violente sensation de bonheur qu’on a chaque fois après un bain, plus, beaucoup plus qu’après l’amour : Heureux d’être sur terre, presque nu sous le soleil comme un animal innocent, caressé par du vent léger, désirant tout oublier, même la guerre en Ukraine, même le réchauffement climatique, sauf les cris des mouettes, sauf le roulement doux des vagues, sous l’obscurité apaisante des yeux fermés, sous le bras. Quand je me réveille la jeune fille a disparu ; si ça se fait, me dis-je, elle s’est à peine aperçue de mon existence, si ça se fait, elle ne s'est pas aperçue de mon existence. J’ai envie de nager encore: la mer m’attire irrésistiblement, c'est comme ça chaque fois. Et je redescends encore vers l'eau, qui a monté, et qui se fait plus vive, et plus claire encore et dans laquelle je me laisse tomber comme privé tout à coup de mes forces. Quel délice! Lorsque je me baigne, toujours, j’ôte mon maillot, le portant en bracelet, autour du poignet. J’aime nager nu, libre comme un poisson, dans « la tenue où la nature m’a fait ». Je m’apparais sous les remous ensoleillés, pâle et ondoyant. Elle en fait sûrement autant, me dis-je, et d’ailleurs ne suis-je pas moi-même une jeune fille un peu sotte? Un peu exhibitionniste? Et je nage et je nage, vers le large. Un peu fantasque? Un peu nymphomane? Ne suis-je pas en fait, la seule jeune fille sotte que porte cette plage, déserte à présent? ♦

DEUX ERRANCES CHOUETTES (expériences)

DEUX ERRANCES CHOUETTES (expériences)
Une nuit où je marchais dans les rues désertes de la petite ville où j’étais né et où j’étais venu voir mes parents, une chouette tout à coup cria haut dans le ciel au moment même où elle me survolait. Elle décrivait de belles boucles au-dessus des maisons ensommeillées, dans un itinéraire que je suivis, autant par jeu que par goût du mystère. Je me plus à me dire que l’oiseau de nuit m’incitait à le suivre, s’éloignant puis revenant vers moi, comme ferait un chien entraînant son maître vers un but connu de lui-seul. Où, la suivant, allais-je aboutir, à quel secret, devant quel portail mystérieusement ouvert, alors que les habitants s’étaient abandonnés au sommeil ? Mais elle disparut tout à coup dans le noir du ciel et ses cris se firent lointains, puis se turent. Je me retrouvai seul au milieu des rues vides, dernier oiseau nocturne et solitaire.
Au bout de la rue Michel Rambaud, le carrefour était désert. Les voitures semblaient dormir depuis toujours, je marchais sans faire de bruit. Chez Nico, c’était fermé. Un papier collé derrière la vitrine annonçait la fermeture pour fin décembre. De quelle année ? À travers les stores vénitiens, je crus apercevoir dans l'obscurité, des vêtements, toujours suspendus sur les portants. J’étais sûr que, si j’avais pu entrer, j’aurais retrouvé l’odeur de naphtaline qui régnait dans le magasin où ma mère venait choisir ses robes. Plus loin, rue du Port, j’aperçus une chouette effraie sortir d’une lucarne de la grande maison où nous avions habité quelques mois dans les années soixante. Depuis longtemps elle était à vendre. J'imaginai, plongés dans l'obscurité et le silence, la minuscule cuisine, le long couloir étroit qui en part, le grand salon dont les fenêtres vibrent quand passent les voitures et au bout du couloir, l'escalier qui grimpe vers les chambres, décor vide comme un théâtre après la représentation. La rue que je suivis ensuite me rappela le court trajet (cent mètres, tout au plus?) que nous faisions entre la maison et l'école maternelle où ma notre mère nous emmenait, mon frère et moi, chacun de son côté lui donnant la main. Je me souvenais de la voiture de la maîtresse, garée devant l’école quand nous arrivions, une Amie 6 bleue pâle; sa couleur et ses formes me rappelaient la douceur de sa conductrice. Pourtant un matin j’avais remarqué un oiseau, mésange ou moineau, cruellement pris dans la grille de la calandre ♦

UN BON ARROSAGE (rêves)

UN BON ARROSAGE (rêves)
Bien que je sache quel âge il a, mon père aujourd’hui a l’air d’avoir le même que moi, mais ça ne me surprend pas. Il semble en pleine forme et d’excellente humeur. A la petite porte « de derrière », celle qui donne sur le jardin, il arrose un immense conifère avec un tuyau ouvert à fond, qu’il a fixé dans l’arbre lui-même en l’attachant au tronc et orienté vers le ciel. Le jet d’eau jaillit jusqu’à la cime de l’arbre, plus haut encore et retombe en une pluie étincelante. Mon père est extrêmement content de son invention et du spectacle. Je suis, pour ma part déconcerté. Ce qui surtout m’étonne, c’est son attitude, qui ne lui ressemble pas, tellement il a l'air de se moquer totalement des restrictions d’arrosage en vigueur, par ces temps d'économies et de sécheresse. Lui, toujours si raisonnable, me dis-je, et plein de civisme! Mais devant cette fontaine si imprévue et si gaie, si poétique, je fond, je me laisse charmer, et toutes ces gouttes qui jaillissent des ramures vert profond me bouleversent. Finalement c’est une belle idée, et pleine de gaieté! Comme je suis timoré, moi, de me soucier des arrêtés préfectoraux et comme papa a raison, puisque il est si sage, d’être un peu fou de temps en temps!

UNE APRES-MIDI DANS UNE JACINTHE SAUVAGE (rêveries)

UNE APRES-MIDI DANS UNE JACINTHE SAUVAGE (rêveries)
Diable, se disait-il, je donnerais cher pour parcourir les boucles mauves de cette clochette, même un peu fatiguée. Ayant gravi la verte tige où ses pieds et ses mains s’agrippaient comme s’il avait été puceron des bois, il s’imaginait maintenant prenant pied sur le pétale, et baissant la tête pour passer sous les lourdes étamines, il se voyait s’enfoncer sans crainte dans le clair calice. Là, tout environné de mauve et de suave odeur, il s’allonge, à demi enivré, les pieds au fond du calice, la tête à son ouverture. Ayant dormi un peu, bercé par un zéphyr de vieux poème, il se réveille pour découvrir tout autour de lui un merveilleux spectacle. Comme les toits innombrables d’une ville ancienne, des centaines de clochettes, du mauve presque blanc au violet des violettes se pressent tout autour, vibrant dans l’air, avec leurs pavillons parfois dressés vers le ciel, exhibant leurs étamines dorées, parfois inclinées jusqu’à l’horizontale, comme celui où il s’est installé, ouverts comme des cavernes au flanc des montagnes, parfois encore inclinés pieusement vers la terre, comme des cloches d’ église ; ça et là les longues feuilles traversent ainsi que des épées vertes le nuage des fleurs et fusent, flèches victorieuses, fières, heureuses, vers le ciel. Ville, certes, mais ville de fleurs, ville que nulle main n’a construite, nulle mandibule n’a menuisée, nul bec n’a laborieusement tressée. Ville mouvante et parfumée, apparue l’espace d’un printemps et qu’ en tout cas, se dit-il, il fait bon pour le moment d’admirer, de ce doux balcon. Perdu dans ses pensées, ainsi qu’il se décrit gentiment, car voici qu’il s’aperçoit qu’il avait quitté ce pétale pourtant confortable pour le plus inaccessible encore jardin de son enfance, l’un d’eux en fait, car il y en eut plusieurs : celui de son grand-père. Car les mêmes clochettes, pareillement parfumées y fleurissaient discrètement, au printemps, derrière du buis, sous le grand noisetier. Perdu dans mes clochettes, plutôt, se corrige-t-il plaisamment. Mais un bourdonnement puissant le tire tout à coup de ses souvenirs fleuris. Celui d’une belle abeille noire, bleue de reflets, de celles qu’on nomme charpentières, et qu' il a récemment découverte dans le jardin d’un ami. Alors qu’elle vole en sur place, à deux doigts de son balcon, tout occupée à butiner la clochette voisine, il enjambe hardiment le vide étroit qui le sépare de l'animal, et s’installe sans façon sur son dos. La fourrure est chaude, vivante, et le dos aussi large que celui d’une pouliche normande. Et il se plaît-il à le lui crier à l’oreille. Visiblement flattée, elle l’emporte en zigzaguant dans le soleil, croisant le vol d’une multitude d’autres créatures. Et c'est ainsi qu'ils passent l'après midi, butinant de clochette en clochette, de calice en corolle, de corolle en ombelle charmante par les bois et les champs. Monter à cheval lui a toujours fait envie, mais lui a toujours également fait peur: les chevaux sont bien inquiétants, toujours apeurés, toujours fantasques, et si hauts! C'est vrai, monter une abeille est plus simple, plus doux, et il se demande pourquoi il ne l'avait jamais fait jusque là; c'est simple, se dit-il, personne ne lui a jamais proposé, et peut-être même, personne n'y a jamais pensé! Incroyable! Et pourtant si évident! Et si agréable! Quel bonheur, enfin, pour un humain, que de pouvoir voler où et comme bon lui semble! Et voici donc que les plus belles prairies défilent sous leurs pieds, qu'ils survolent en doux zigzags les plus belles ombelles, qu'ils passent sous leurs plus tendres ombrages, visitent les flèches enivrantes des hautes digitales, où butine un bourdon solitaire. Mais il a peu l’habitude de voler ainsi, et la fatigue au bout d'un temps se fait sentir, et il demande à sa belle monture si elle veut bien le ramener chez lui. Pas de problème, lui répond-elle, je te dépose. En plus, se dit-il, avec elles, on peut parler et, flattant son encolure velue, caressant son abdomen dodu, il la guide jusqu’à sa terrasse, gracieusement suspendue au-dessus d’un beau jardin. C’est là qu’il se retrouve, le nez -seulement- dans ses clochettes, celles qu’il a cueillies la veille dans un chemin creux du côté de La Paquelais ♦

VERS DE L' INSECTE POETE AU PRINTEMPS CACHOTTIER (poésies poétiques)

VERS DE L' INSECTE POETE AU PRINTEMPS CACHOTTIER (poésies poétiques)

POEME EN R.V.B. (poésies poétiques)

POEME EN R.V.B. (poésies poétiques)

VENDEE: LETTRE à UN AMI (expériences)

VENDEE: LETTRE à UN AMI (expériences)
Près de Saint Juire-Champgillon, où je suis né.
Oui, je te parlerais bien de Vendée, mais ce serait une Vendée d'il y a cinquante ans, quand j'en avais dix, sans les bretelles de sortie, sans les centres Leclerc et sans les super U; des routes assez venteuses, finalement, avec des bouses de vache desséchées, tendrement parfumées, des camions de lait dans les virages, des villages un peu désolés, jolis parfois, des manoirs sous-estimés aux volets gris, des châteaux d'avant avec des bois broussailleux, des gros villages qui s'ennuient et des enfants qui font du vélo et des baignades dans le Lay, à Mareuil, par un jour d' été trop chaud. Tout cela n'existe plus. Mes maîtres d'école sont presque tous "partis", je ne veux savoir où, et quand je viens à Luçon je ne connais personne, "Que sont mes amis devenus", je l'ignore. Il y a encore des îles de l'autrefois qui subsistent, et je navigue de l'une à l'autre, mais il faut souvent fermer les yeux pendant la traversée, et je les vois mieux en rêve. Quand je croise les nouveaux vendéens ils semblent se demander d'où je viens. Dans les allées du Jardin Dumaine, certains lauriers m'ont connu enfant, et les choucas qui dorment la nuit sur la façade de la Cathédrale, sont les petits enfants de ceux qu'à l'école, je regardais rêveusement, enviant leur liberté, pendant le cours de géographie. Je reconnais leur façon de tourner sans fin autour du clocher, grand coquillage nacré ♦

LA STATUE (aventures infimes)

LA STATUE (aventures infimes)
Un jour d’été que la canicule avait jeté la population dans les jardins publics et sur les quais, Lucile, en traversant le Jardin des Plantes dans une grande robe de soie écrue, remarqua une stèle vide. Le savant ou le bienfaiteur de l’humanité qui l’avait occupée jusque là, était sans doute parti en séjour à la montagne, pour avoir frais, se dit-elle plaisamment. Préférant cette réponse à une explication rationnelle qui, elle le devinait, aurait probablement envisagé le besoin d’une restauration devenue indispensable en raison du vieillissement du matériau, marbre ou granit, au fait, ou bronze ? Elle ne le savait pas, ou celui du remplacement d’une gloire locale mais oubliée, ou révoquée pour indignité à la suite de l’évolution des sensibilités, elle s’amusa un instant à échafauder des hypothèses amusantes parce que sans intérêt. Une chose était sûre en tout cas : bien qu’elle passât là tous les jours ou presque, elle n’avait jamais levé la tête vers cette image, cette image en trois dés, se plut-elle à conclure. Mais elle s’arrêta soudain, car une idée lui vint à l’esprit, et faisant demi tour, car ses réflexions l’avaient déjà éloignée, elle revint à la stèle désertée. C’était un beau sous-bassement de pierre finement ouvragé, comme on en faisait au 19ème siècle, cylindrique et large. Elle quitta vivement ses tongs dorées, les cacha derrière le petit monument et lestement grimpa sur le socle, s’aidant des moulures, bords et rebords, sauts et ressauts qui en rythmaient la hauteur, offrant à ses pieds fins autant de marches qu’un escabeau. Ce premier geste n’aurait sans doute choqué personne, s’il avait eu des témoins, ne révélant qu’une fantaisie rieuse, une espièglerie que l’ambiance « grandes vacances » de cette journée de juillet autorisait aux citadins restés en ville. Le second en revanche aurait sans doute suscité des reproches, et peut-être même des protestations bruyantes, car Lucile, dès qu’elle se fût assurée de son équilibre sur la haute pierre fraîche, fit tomber sa robe à ses pieds, et en un instant, fut absolument nue. Puis elle s’assit, dans une attitude qu’elle avait remarquée quelques jours plus tôt au Musée des arts : celle d’une sculpture hyperréaliste, à la fois pudique et sensuelle. « Pudique et sensuelle , se dit-elle amusée, mais nue, néanmoins ! Sensuelle sans doute, mais aussi pensante, comme un Rodin, et renfermant en elle la densité d’une méditation, le poids d’une profonde intériorité, celle des Méditerranées et des Nuits d’Aristide Maillol ! » En effet, Lucile, avait eu immédiatement la fantaisie d’associer l’idée de prendre place sur ce piédestal vacant –rêvant qu’elle le méritait- à celle d’y paraître aussi nue qu’une déesse grecque. C’était un fantasme qui la poursuivait depuis toute petite, et auquel elle se soumettait de temps à autre avec le plus vif plaisir. Elle l’avait baptisé du nom de Complexe de Vénus et en faisait, en riant d’elle–même, sa maladie mentale. D’autres appelaient ça de l’exhibitionnisme, terme nettement moins poétique, trouvait-elle, et elle leur en laissait négligemment l’usage. Elle en avait trouvé de nombreux exemples dans la littérature, dans la peinture et aimait à y réfléchir parfois. Presque tout le monde aime se mettre à nu, se disait-elle, mu par un profond et inaccessible désir d’apparaître aux autres sans masque. Pour elle, le simple fait de se dévêtir, même sans témoin, était un plaisir en soi; elle était son propre témoin, cela suffisait. Il lui semblait ainsi être plus libre, et plus vraie, plus elle-même; fantaisie qu’elle s’autorisait, et qui ne lui avait jamais valu le moindre ennui. Ses amants et amantes avaient reconnu et parfois apprécié ce penchant, car contrairement à un personnage qu’elle avait rencontré dans une nouvelle d’Anaïs Nin, elle n’avait jamais été scandaleuse, n’avait jamais choqué la sensibilité, jamais dérivé dans le vulgaire ou le dérangeant. Elle pratiquait donc son fantasme avec retenue et légèrement, avec un naturel qui désarmait. Enfin, ce n’était pas chez elle une obsession, c’était un désir qui parfois la prenait comme vous prend parfois l’envie d’un croissant fourré à la framboise ou d’une glace à la fraise. On pouvait sonner à sa porte sans qu’à chaque fois elle ouvre en état de nudité. La hauteur de sa position et l’ombre dans laquelle elle se tenait -la stèle occupait un profond renfoncement dans l’épaisseur de la haie et était dominée par un lourd magnolia– la gardait d’une trop grande proximité avec les promeneurs éventuels. L’ombre verte la nimbait d’une sorte d’irréalité et on n’aurait pu percevoir le rosé nacré et pâle de son teint : une vraie odalisque de Foujita, se disait-elle s’observant. Elle enveloppa sa longue chevelure noire dans sa robe, comme en un lourd turban, en en laissant retomber le drapé ses épaules. Elle se rappela ces statues humaines qu’elle avait vues ces dernières années dans les villes touristiques de la côte, avec leurs postures exagérées, leur face pétrifiée sous une pâte blanche ou même couleur d’acier, et elle se demanda un instant avec angoisse, si elle ne les imitait pas. Quelle horreur: Leur immobilité était parfaite, mais tout à coup, un bras se dépliait lentement, la tête tournait mystérieusement, et toute l’attitude se délayait, glissant jusqu’à une autre attitude où elle se bloquait comme une mécanique stupide. Elle avait toujours trouvé ce genre de spectacle dérangeant, et elle ne savait au juste pourquoi, le jugeait de mauvais goût. Ce qu’elle avait envie d’imiter, elle, n’était pas l’immobilisme des statues, mais leur nudité même: L ’immobilité n’était qu’une évidente et presque accessoire conséquence de leur état statuaire, mais leur nudité était bien ce qui les motivait, ce qui leur conférait tout leur pouvoir d’ensorcèlement, et elle revoyait encore les Maillol, les Rodin, les Claudel. Elle se plut, alors que se rapprochaient des pas dans les graviers de l’allée, à se dire qu’elle innovait dans la discipline, d’abord par sa nudité totale, qui avait valeur d’engagement, par l’absence de tout dispositif scénique, et par le genre d’immobilité qu’elle se proposait de pratiquer, une immobilité facile , dans une pose confortable, assise, et qu’elle ne romprait par aucune variation spectaculaire et trompeuse - car c’était en réalité pour se défatiguer que ces zozos et zozottes changeaient de posture, se disait-elle, incisive enfin- et qu’elle ne figerait pas non plus au-delà de l’humaine condition, qu’elle ne pouvait nier. Qui l’aurait observée avec un peu d’attention aurait décelé sans peine le mouvement de sa respiration, et peut–être la vibration du vivant. En cinq minutes elle avait déjà élaboré sa démarche et son esthétique! Elle voulait seulement qu’on ne s’aperçoive pas trop facilement qu’elle était vivante, mais non pas qu’on s’étonne que vivante, elle parût de pierre. Elle aimait philosopher ainsi pour elle-même, alors que sa parole était d’ordinaire plutôt réservée et jamais savante. Ainsi rêvant, elle avait atteint une certaine tranquillité d’esprit et son attitude s’était faite plus naturelle, et c’était son meilleur déguisement. Les paupières baissées presqu’entièrement, on n’aurait pu distinguer l’éclat de son regard aiguisé, mais pourtant elle observait parfaitement tout ce qui se passait à ses pieds, tout ce qui passait à ses pieds : pour l’instant ce n’était que les petites allées et venues des moineaux énervés pas la chaleur, se disputant des graines sans doute, minuscules, des miettes, des riens, imaginait-elle. Sous la frange de ses cils, elle vit d’abord un jeune couple entrer dans son champ de vision : ils marchaient enlacés, ne semblant pas souffrir de la température, collés l’un à l’autre et sans doute en sueur l’un et l’autre. Ils passèrent lentement devant elle, l’ignorant comme une vulgaire mythologie ; elle en fut ravie, mais il était probable qu’ils ne l’avaient pas même aperçue ; ça ne fait rien, se disait-elle, je suis devenue une naïade de jardin public, et je ne saurais éprouver le moindre sentiment. Ayons le cœur de pierre! Dans ce coin du jardin, assez éloigné de l’entrée, et un peu à l’écart des grandes allées, les visiteurs étaient assez peu nombreux, et comme il n’y avait pas de banc, nul n’y restait longtemps : pas non plus de curiosité à admirer, pas d’arbre remarquable, pas de fleurs inconnues, juste cette statue oubliée. Pourquoi y avait-il donc des statues, d’ailleurs, se demanda-t-elle, si personne ne leur prête attention ? Elles ne remplissent aucune fonction, si ce n’est peut-être d’être de poétiques lieux de rendez-vous ; elles sont là et c’est tout, répondant seulement au besoin de quelques rêveurs de dresser dans les jardins ou au milieu des carrefours une figure magique. Une femme passa, son smartphone en main, plongée dans une discussion. Il était question de vacances, de départ, de train, de vendredi et de Bretagne. « Ennui, se dit Lucile, ennui et ennui, quel ennui, les vacances et l’été… » La femme s’était arrêtée juste à ses pieds, lui tournant le dos, tenant son téléphone comme une gaufre dont elle aurait sucé le bord. Elle avait envie de caresser du bout du pied les cheveux rose vifs de la femme, mais elle se retint, jugeant que cela la mettrait en danger et que ce geste aurait peut-être quelque chose de méprisant, ce qu’elle ne voulait pas. Cela certes aurait été de sa part une simple moquerie gentille, mais comment expliquer cela, dans son état de statue vivante ? Elle aurait eu du mal, se dit-elle. Deux jardiniers entrèrent alors dans son champ de vision, et la femme s’éloigna, toujours absorbée dans ses projets de voyage, revenant aux horaires des trains et des risques de grève. « Ô ennui » se dit Lucile. Ayant probablement fini leur journée, les deux hommes en tenue verte traversèrent le petit espace, l’un poussant une brouette remplie de feuilles sèches, l’autre portant deux râteaux aux dents fines et longues. « Chacun le sien, se dit Lucile, c’est mignon… ». Ils n’avaient pas un regard pour ce jardin, pour ces arbres, pour ces allées et ces statues qu’ils connaissaient par cœur, et qui n’étaient que le cadre de leur travail. La tête penchée vers le gravier rose et leurs grosses chaussures de travailleurs, eux aussi parlaient de leur vacances prochaines, de paddle à Saint Jean de Monts. « Décidément, se dit Lucile, j'ai dû me transformer vraiment en dame de béton ou de calcaire, couverte de pollen ou de lichen gris, pour me punir de ma fantaisie, comme dans les Métamorphoses d’Ovide, et que je ne vais plus jamais pouvoir descendre de mon piédestal ! » Mais bougeant un doigt, une main elle put constater sans surprise que les métamorphoses n’appartenaient plus qu’à une époque révolue. Donnant la main à un petit garçon d’une dizaine d’années, une femme âgée, en T-shirt blanc et coiffée d’une casquette à visière de plastique vert transparent apparut. Elle échangea, en les croisant, quelques mots amicaux avec les jardiniers, qu'elle devait connaître. Elle leva les yeux vers Lucile, mais l’enfant réclamait un gâteau, ou une glace, et il la tirait par le bras sans s’occuper d’autre chose, ni d’elle ni de la statue devant laquelle elle s’était arrêtée une seconde et qu’elle tentait de lui faire remarquer. Mais il la tirait sans ménagement vers la grande allée, où se tenaient pour l’été un manège ancien et une petite pâtisserie dans un joli camion bleu pâle. Au-dessus d’elle, une tourte qu’elle n’avait pas remarquée, se mit à roucouler, comme s’éveillant tout à coup. Son chant avait toujours été un plaisir pour Lucile, et il lui sembla qu’elle était plus proche de l’oiseau, en étant statue de jardin, qu’elle ne l’avait été jusque là, humaine créature. Elle eut envie qu’il vienne se poser sur sa tête, qu’il vienne s’endormir sur son épaule, érotique version d’une Léda moderne ! Mais le chant de la tourte n’avait rien de dramatique: il n’évoquait que la douceur de la vie, la tendresse de la saison. Un jeune homme chargé d’un sac à dos, passant alors, leva les yeux vers l’oiseau, le cherchant du regard dans le feuillage verni du magnolia. Ce devait être un voyageur dans l’attente de son train. La gare était toute proche, et comme de nombreux voyageurs, il avait dû venir chercher dans ce jardin un peu de calme et de fraîcheur entre deux correspondances. Il était sans doute très jeune, et paraissait un peu perdu dans cette grande ville qu’il ne connaissait pas et où il se risquait avec prudence. Ses yeux se posèrent alors sur Lucile, un peu étonnés. A travers les minces fentes de ses paupières presque fermées, elle suivit le regard du jeune homme parcourir son corps, descendre jusqu’à ses pieds, juste au bord de la stèle. La pierre avait communiqué sa fraîcheur à ses menus orteils, et ils paraissaient, dans l’ombre glauque, taillés dans la même matière, ce qui étonnait la jeune fille. C’était bien d’ailleurs ce qui fascinait Lucile, dans les sculptures inspirées, qu’elles aient le pouvoir d’évoquer à travers le même matériau, aussi bien le cheveu que la peau, le lourd que le léger, le voile tremblant que le puissant métal, la pierre dure que le « sein palpitant », et c’était bien là pour elle un des charmes de cet art. Le jeune homme, qui n’osait bouger, semblait étonné par quelque chose qu’il ne comprenait pas, qu’il ne cernait pas. Et Lucile, interdite, se faisait le plus statuaire qu’elle pouvait. Sous cette observation, elle craignait quand même d’être décelée, et c’était terriblement dangereux, et terriblement excitant. Le regard du jeune homme la parcourait de la tête aux pieds. Elle sentit comme il s’attardait sans façon sur ses seins, comme il descendait lentement sur ses hanches, rebondissaient sur ses cuisses, glissait jusqu’à ses pieds. Comme elle était placée à deux mètres de haut, et qu’elle était assise, dans une pose « pudique », on ne pouvait apercevoir l’obscur buisson qui l’aurait trahie. Le jeune homme l’admirait, visiblement, et ne semblait nullement honteux d’admirer une femme nue, plus qu’une œuvre d’art, fasciné par tant de beauté inattendue. Et elle, elle exultait, buvant avec délice le plaisir qu'il lui faisait, son fantasme s'exauçait merveilleusement. Il s’éloigna enfin, en murmurant, « elle est magnifique, magnifique… » La chaleur finissait par avoir raison des promeneurs. Ils s’étaient réfugiés sous les marronniers, les platanes, les ormes, les charmes, les tilleuls odorants, les noyers d’Amérique, ils s’étalaient sur les bancs, les pelouses autorisées, les chaises longues décolorées, cherchant à reprendre leur souffle, abandonnant leurs téléphones, leurs journaux, leurs livres de la bibliothèque municipale aux pages ouvertes. Les oiseaux s’étaient endormis au fond des haies. Dans le ciel de feuillage où Lucile se tenait encore, l’oiseau s’était tu. Elle avait chaud, maintenant, même nue, et elle s’aperçut qu’elle s’ennuyait. Alors elle se leva, sans crainte qu’on la vît, s’étira, dressée sur sa pierre, bâilla longuement, et le turban de sa robe tomba à terre. Puis elle descendit, souple comme une liane, passa sa robe, qui l’enveloppa en un éclair comme l'eût fait un nuage divin et chaussa ses tongs d’or. En quittant son petit théâtre de verdure, elle croisa la vieille femme et l’enfant. Ils léchaient chacun une magnifique glace rouge, à la fraise : elle perçut au passage le délicieux effluve. Elle entendit la vieille femme s’exclamer : "ça alors, la statue, elle a disparu…Ah ça, c’est pas ordinaire alors ! Regarde, Gabriel, la statue !... Et l’enfant riait aux éclats : Ah ah ! mamie, elle est partie, elle est partie se promener, s’acheter une glace, elle avait chaud, c’est normal, mamie ! - Tu rigoles, répondait la vieille femme, mais c’est vrai, il y avait une statue, là, y a même pas un quart d’heure, c’est pas ordinaire, ça alors !" répétait-elle en elle faisant le tour de la stèle désertée, scrutant les alentours comme si la statue avait pu s’éloigner dans une allée voisine. Lucile s’éloigna doucement, amusée, charmée. On entendait encore la vieille femme: « Elle était magnifique, et je m’en souviens, c’est pour ça que je l’ai remarquée, on aurait dit une vraie… » L’enfant riait, et l’entraînait plus loin. «Viens mamie, on va voir les cactus ! » ♦ (avril 2024)

LA MER (poésies poétiques)

LA MER (poésies poétiques)

GLORIETTE PARADISO (poésies poétiques)

GLORIETTE PARADISO (poésies poétiques)

LE CAOUTCHOUC (rêves)

LE CAOUTCHOUC (rêves)
Je ne sais pas d’où m'est venue tout à coup cette envie qui me traverse comme une urgence: Demander un autre imperméable en caoutchouc à ce couturier qui m’en avait déjà confectionné un premier il y a quelques années! Vite avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'il ne ferme boutique, avant que les pluies ne tombent plus, avant que je meure! Et je me précipite à sa boutique, sous les arbres légers d'un large boulevard. Vibrant de désir, je lui demande s’il fait toujours des impers en caoutchouc; "Mais bien sûr, cher Monsieur, répond-il doucement, avec un agréable sourire. Il a une assez belle allure, courtois, chic, et un petit quelque chose de narquois, ou de moqueur, qui flotte dans les yeux. Plein de reconnaissance pour lui, je lui demande s’il voudrait bien m’en faire un autre, comme il y a quelques années. - "Ouiii, je m’en souviens très bien, c’est tout à fait possible, cher Monsieur, ce sera avec plaisir, pour quand le désirez-vous ?" Ces imperméables me plaisent beaucoup. Cousus dans des pneus usagés, leur aspect brut et noir mat me plaît et ils sont étrangement souples. Je les aime aussi car personne n’en porte, sauf moi, qui suis sans doute seul à connaître leur existence. "- C’est combien, déjà ?" demandé-je assez confiant: Je sais que le prix était étrangement insignifiant, et cet aspect des choses m'avait rendu ce vêtement encore plus précieux, comme si j'avais découvert moi-même un trésor insoupçonné, comme si sa valeur n'avait rien à voir avec son prix de vente et en était immensément au-delà. Mais, se reculant légèrement, il me contemple et me mesure des yeux, tourne tout autour de moi, dodelinant de la tête, multipliant en chantonnant les hauteurs, les largeurs et le prix des différents caoutchoucs à utiliser. Enfin, et alors que je m'étonne, puisqu'il semble se reprendre dans son estimation, remultiplier et re additionner les résultats, que le prix ait autant à voir avec des métrages et des prix de matières, il m'annonce gaiment ce chiffre, toujours avec ce gracieux sourire aux lèvres:"- Autour des trois mille euros, cher Monsieur, même peut-être un peu moins, chiffre qui d'un coup me coupe le souffle, et l'envie. - Ouh là, dis-je, comme si j'avais reçu un coup de poing dans le ventre, ça a augmenté, la dernière fois vous m’avez demandé vingt cinq euros, je crois, je ne comprends pas, c’est beaucoup beaucoup plus cher, là ! - Ah oui je sais, je suis désolé cher Monsieur, mais vous savez, le prix du caoutchouc a flambé, ces derniers temps, c’est dingue, c'est dingue ! et il lance ses belles mains en l'air, vers le lustre de cristal, qui semble représenter toute la richesse à laquelle l'incroyable caoutchouc est parvenu. Oui mais c’est du caoutchouc de récupération, quand-même. – Ah ah! Même de récupération ! et j'allais dire: surtout de récupération! on est sur du Good Year, là, du Pirelli, grande marque italienne, grande grande marque, c'est eux qui fournissent Ferrari, Lamborghini, Monteverdi!" Je me demande s'il ne se moque pas de moi, maintenant; quel escroc, quand même, me dis-je, rien qu'à son air j'aurais dû le savoir! Il a compris que j'adorais son imper et il en profite, alors qu'il devrait me remercier de lui en avoir fait réaliser la valeur! " - Et on n’en trouve plus, en plus, maintenant c'est du vinyl, de l'acrylique, les nouveaux pneus chinois !", ajoute-t-il, l'air désolé et juste un peu méprisant, juste assez pour que je le ressente. Très déçu, je m’apprête à quitter la boutique, tirant la lourde porte vitrée, ornée en son milieu d'une belle poignée de fer forgé. A ce moment il pose la main sur mon bras, palpant légèrement et presque affectueusement ma manche en disant :"- Ah! C’est un beau cuir, que vous avez là… » Je regarde mon bras: effectivement, je porte une belle grosse veste de cuir, presque blond. Oui, elle me vient de mon père", dis-je… Cette veste existait bien, et je l’ai portée quelques fois vers l’âge de vingt ans. Le cuir était presque roux, pas blond comme dans mon rêve. Lourde et confortable, je m’y sentais protégé comme dans une armure souple. Ce sentiment venait sans doute aussi du fait qu’elle était à mon père qui l’avait portée il y avait bien longtemps. Il ne l’utilisait plus. Un jour je l’ai perdue quelque part, je ne sais où. Je l’avais oubliée. Pas complètement, finalement; puisque je l'ai retrouvée dans ce rêve. Les choses n'ont pas disparu, quand on rêve encore d'elles: Leur existence change juste de nature, elle n'en est pas moins réelle ♦

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